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Foire aux chimères

Foire aux chimères

Je buvais mon café à la terrasse du petit bar quand je vois passer ma voisine étonnamment radieuse.

— « Je suis soulagée d’avoir enfin pu me débarrasser de mon stock d’échecs, dit-elle. Des années que tous ces projets avortés envahissaient ma vie ! » Et d’ajouter en repartant d’un pas léger :« c’est fou comme les échecs peuvent être encombrants quand on n’en fait rien ! ».

Voyant mon air étonné, la serveuse me raconte que chaque année, il y a une foire aux chimères qui attire bien du monde. Bon nombre de badauds y trouvent de quoi entretenir leurs éternelles rancoeurs. Il s’y vend toutes sortes d’états d’âme à bas prix, de désespoirs encore sous garantie et autres chagrins sur mesure. De l’occasion c’est vrai, mais bien pratique pour qui aime se faire plaindre.

Elle m’avoue y être allée, espérant en vain y trouver un livre pour faire de bonnes rencontres. Elle avait été déçue, mais quelque part, il semble peu probable de trouver son bonheur dans une brocante de malheurs.

Je me hasarde à lui demander ce qu’elle entend par « bonnes rencontres« .

— « J’attire toujours ceux qui ne me plaisent pas et je ne plais pas à ceux qui m’attirent. J’aimerais bien que cela s’arrête », me confit-elle.

D’après sa copine, cela tiendrait à la qualité des produits utilisés. Sans âge ni consistance, ils se décomposent dès qu’ils sont cuisinés. Le soufflé n’a pas le temps de prendre qu’il est déjà retombé. Si la copine le dit, qui prétendra le contraire ?

Sauf que la copine n’est pas seule à avoir une théorie inflexible. Pour une autre cela ne vient pas des produits, mais plutôt de la façon de les accommoder. Un plat fade avec un goût d’amertume donne plus envie de le laisser que d’en reprendre.

Cruel constat !

Dans un profond soupir, elle murmure que la vie ne peut quand même pas être une suite sans fin des mêmes erreurs avec en toile de fond les mêmes échecs, les mêmes déceptions. Que ce soit bien ou mal, ce n’est jamais parfait. Il doit bien y avoir une explication beaucoup plus réaliste que toutes ces théories pseudo-chroniques qui ne mènent nulle part.

— « Qu’en penses-tu ? » demande-t-elle.

— « Je pense que c’est peine perdue que de vouloir enrayer un processus sur lequel personne n’a les moyens d’agir. Il nous est tout au plus possible de réduire sensiblement le nombre de répétitions, mais sans plus. Le cycle ne s’arrêtera jamais avant la fin et c’est tant mieux d’ailleurs, car il en va de notre évolution ».

— « Tu es en train de me dire que ça ne changera jamais ? »

— « Non, pas du tout ! Voyons cela autrement, aimes-tu plaire ? »

— « Plaire ? Bien sûr que j’aime plaire qui n’aimerait pas plaire. Être belle, avoir un corps parfait. Femmes ou hommes, nous y pensons tous. Pourquoi cette question ? »

— « Le désir de plaire est ancré en chacun de nous dès notre plus jeune âge et tout est fait pour nous inciter à séduire. La nature elle-même, par le reflet de l’eau, nous offre notre premier miroir, mais penser être parfait de suite, même par des artifices, c’est prendre un raccourci jalonné de frustrations et de déceptions.

Comme il nous est foncièrement impossible d’être parfait, à défaut d’y parvenir, certains cherchent la perfection dans tout ce qui les entoure.

C’est là que les univers se séparent.

Quand certains, hommes ou femmes, doutent avoir atteint la perfection alors que tout leur indique qu’ils y sont parvenus, beaucoup en sont chaque jour convaincus quand manifestement il n’en est rien.

En fait, être loin de la perfection est démotivant, la frôler est carrément insupportable, mais à l’inverse, l’atteindre se révèle insuffisant. Étrange, n’est-ce pas ? »

Elle s’étonne,

— « Quel est le rapport avec mes perpétuelles rencontres ratées ? »

— « Le lien est beaucoup plus étroit qu’il n’y paraît.

C’est notre « imperfection » qui nous pousse à atteindre la perfection. De nos choix à leurs conséquences, tout en dépend. Voilà pourquoi tout commence par le désir de plaire pour finir tôt ou tard par la rencontre tant attendue.

En remarquant ce qui nous semble « imparfait », autant pour soi que chez les autres, nous pensons émotivement par comparaison. Constater l’imperfection c’est ressentir le besoin d’y remédier. Le processus est enclenché.

La répétition d’actions similaires de plus en plus approfondies permet d’obtenir ce qui, dans un premier temps, apaise notre insatisfaction pour, à terme, nous rendre fiers d’y être parvenus.

Il en est ainsi de ces rencontres toujours pareilles qui ne sont jamais vraiment les mêmes.

Chaque personne rencontrée apporte sa pierre à l’édifice et sans le vouloir explicitement nous arrachons nos mauvaises herbes, nous corrigeons le tracé de nos traits de caractère. Il nous faut inlassablement répéter les mêmes situations pour en corriger le moindre détail. Il ne faut surtout pas renoncer, jamais.

Entre l’espoir de la réussite et la déception de l’échec oscille l’insatisfaction, ce moteur qui nous mène à la perfection.

De l’imperfection dépendent contraintes et obligations qui jalonnent le chemin. De notre volonté pour les surmonter la durée pour atteindre la perfection.

Ainsi, progressivement nous éloignons ceux qui ne nous plaisent pas pour enfin plaire à ceux qui nous attirent.

La rencontre attendue n’a que faire de nos humeurs. Elle aussi, soumise à ce même perfectionnement, ne se satisfera pas d’à peu près.

Ce sont ces rencontres qui, un jour, nous transportent ».

Denis Notari

2 comments so far

Denis NotariPublié le5:52 - Juil 26, 2018

Merci à vous Isabelle

IsabellePublié le4:23 - Juil 26, 2018

J’ai réellement apprécié lire La Foire Aux Chimères… Merci

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